La condition animale, un enjeu sociétal et une révolution en marche

                            DROITS DES ANIMAUX - L'agro-business a réagi. Pour protéger son économie et anticiper les scandales qui ces dernières années touchent à la fois la condition animale et la santé publique, le lobby s'est organisé afin de proposer et faire adopter des lois dans une douzaine d'Etats américains. Objectif: criminaliser les dénonciations en images de la cruauté envers les animaux dans les élevages et les abattoirs.

Les pratiques illégales de ces firmes vont donc pouvoir se perpétuer à l'abri des regards avec le soutien des pouvoirs publics. Pas vu pas pris. Améliorer les conditions de vie des animaux a toujours eu un coût pour les industries qui les exploitent, quels qu'elles soient. Chaque nouvelle loi en faveur des animaux est pour elles une contrainte et une menace pour leurs intérêts financiers.

Voilà donc la dernière parade. Elle ne tiendra pas longtemps et pour cause: la question animale est devenue un défi sociétal, elle ne cesse de prendre de l'ampleur. Qu'on le veuille ou non, c'est un fait. Quand bien même le discours consensuel consiste à répéter qu'il s'agit d'une cause fantoche, d'un excès de sensiblerie, qu'il y a d'autres priorités et que les animaux sont là pour nous servir, la condition animale nous interpelle de plus en plus.

Or ce n'est pas tourner le dos à l'homme que de s'en soucier, bien au contraire.

Voilà quelques années encore, il était courant d'entendre dire que porter intérêt aux bêtes était le symptôme d'une civilisation en crise. C'était l'époque où utiliser un certain langage était proscrit. Par exemple, à l'"intelligence" animale, on préférait le terme de "cognition". Accorder des émotions aux bêtes était une aberration, s'intéresser à la conscience animale une pathologie.

Or le vent a tourné. Les animaux ont changé, ils ne sont plus ces "machines" à produire, ces "outils" jetables, ces "nuisibles" à éradiquer. A la lumière de l'éthologie, nous avons découvert qu'ils sont, à des degrés divers, doués de comportements complexes. Ils se révèlent capables de souffrir, de fabriquer des outils, de faire preuve d'humour, de dissimulation, de folie, de colère, d'amitié et de sens moral. En définitive, ils possèdent bon nombre de ces caractéristiques qui auront, pendant longtemps, défini le fameux propre de l'homme.

A tel point que les chercheurs proposent aujourd'hui une véritable réflexion sur l'altérité, l'individualité et la "personne animale". En modifiant les représentations que nous avions des animaux, la science nous invite à prendre en compte leurs intérêts, à redéfinir nos rapports avec eux et de fait à nous interroger sur nos obligations à leur égard.

Une réalité qui, forcément, nous oblige à remettre en question nos comportements: si les animaux ne sont donc plus ces outils à notre service, que devient notre légitimité à les exploiter, à les mépriser? A présent qu'ils nous ressemblent tant, comment justifier leur infériorité -qui facilite l'exploitation- et toutes les souffrances que nous leur faisons subir? Le temps n'est-il pas venu, dans cette société qui revendique des droits pour tout (et tous), de leur en accorder?

Après tout, ce questionnement s'inscrit dans une continuité logique, celle des grands mouvements de libération des opprimés. Une préoccupation millénaire. On oublie en effet trop souvent que la considération à apporter aux animaux est née aux mêmes sources des droits humains.

De l'antiquité jusqu'au 19e siècle, les plus grands défenseurs des hommes ont eu à cœur de soutenir la condition animale au nom de la justice et de la dignité humaine. Peut-on attribuer des droits à des animaux alors que partout, ceux des humains sont si peu respectés? On ne posait pas le problème ainsi. Portée par des humanistes, la condition animale était une vraie question politique, elle l'est encore.

Il n'y a pas de contradiction entre la justice sociale et le soutien de la cause animale. Mais les responsables politiques d'aujourd'hui préfèrent l'ignorer et se ranger du côté des intérêts des filières, corporations et lobbies plutôt qu'être à l'écoute des revendications et des révolutions de la société, de la diversité des réflexions et des approches autour de ces questions qui méritent d'être débattues.

Ils ne se rendent pas compte que l'étude du statut moral des animaux (l'éthique animale) qui conduit à nos responsabilités les concernant s'est développée dans les pays anglo-saxons depuis plus de 40 ans, qu'elle est désormais enseignée dans les universités aux quatre coins de la planète (sauf en France), que la jeunesse, née avec l'écologie et ce constat d'un destin lié avec une nature fragilisée, intègre spontanément ces problématiques et orientera les lois et la société de demain.

Nos responsables politiques négligent à tort cette question animale, ses enjeux et son impact à venir sur nos modes de vie, de consommation, sur l'économie, la recherche scientifique, l'enseignement, le droit, etc. A l'heure où nos sociétés industrielles ont opéré une rupture avec la nature et où partout, les animaux et les hommes en paient le prix, cette question animale constitue un enjeu éthique et politique majeur. L'ignorer est une erreur.

Si certains pays européens ont reconnu une dignité intrinsèque à l'animal, ont inscrit leur protection dans leur Constitution, renforcé les réglementations, sanctionné l'élevage intensif et la sur pêche, contribué au développement des méthodes alternatives à l'expérimentation animale, la France, une fois encore, s'est distinguée par son retard, son ignorance et son refus obstiné de réfléchir à la création d'un secrétariat d'Etat à la condition animale.

Pour l'heure, la question animale est enterrée dans un bureau dépendant du ministère de l'Agriculture et de la direction générale de l'alimentation. Conséquences: l'amélioration du sort des animaux comme la complexité et la variété des liens qui les unissent aux hommes n'est pas un sujet prioritaire alors qu'elle devrait être un devoir.

Soumis à une évaluation marchande, telle est encore la catégorie sous laquelle sont tenus les animaux en France comme dans d'autres pays. Une qualification dépassée due avant tout à la dualité entre droit civil et droit pénal, le premier assimilant encore l'animal à un bien meuble ou immeuble, contrairement au second qui évolue en prise directe avec l'évolution et les demandes de la société sous l'impulsion de la science et de la protection animale. C'est cette qualification qui doit être repensée aujourd'hui.

Ils n'ont pas de devoirs, certes mais faut-il pour autant les considérer comme des "choses"? Ne peut-on pas faire en sorte qu'ils soient protégés de la même façon que les enfants lesquels ne sont pas responsables de leurs actions mais n'en sont pas moins dotés de droits? En quels termes, dans quelles limites, pour quelles espèces? Autant de questions qu'il convient de mettre en débat à la fois en politique et aussi en philosophie puisque Kant inspire encore aujourd'hui le droit avec cette affirmation que les animaux ne possédant pas la capacité de réclamer quoi que ce soit faute de raison, il ne saurait être question de leur accorder des droits.

Allons-nous d'ailleurs enseigner encore longtemps dans les lycées et les universités que les animaux sont dénués de pensée et de langage en se basant uniquement sur les concepts abstraits et obsolètes de penseurs du passé sans nuancer avec les réalités scientifiques d'aujourd'hui? N'est-il pas nécessaire d'enseigner la nature et les animaux autrement dès l'école, apprendre aux enfants que la première n'est pas corvéable à souhait et que les seconds ne sont pas des marchandises?

Se soucier des bêtes sans oublier les hommes. Il serait de toute manière difficile de faire autrement tant nos vies sont intimement liées depuis les origines. Il y a longtemps que les animaux ont façonné la condition humaine et ce n'est pas en ignorant la souffrance animale qu'on soulage celle des hommes. En témoigne le calvaire actuel des éleveurs contraints à un modèle de développement basé sur la productivité, celui des petits paysans expropriés par les grandes firmes agro-industrielles ou encore ces études qui révèlent que la violence sur les animaux dans les foyers cache presque toujours une violence intra-familiale, que la cruauté sadique perpétrée sur les animaux dans l'enfance conduit à des parcours de criminels violents...

Comment vivre avec eux? Le temps est venu d'écrire la suite de l'histoire entre les hommes et les animaux et de remettre la question en débat. Le respect envers les bêtes ne retire pas des droits aux hommes mais, en élargissant notre morale, il est clair qu'il nous engage à devenir plus humain.

Karine LOU MATIGNON, Journaliste et écrivain

Source:http://www.huffingtonpost.fr/karine-lou-matignon/droits-des-animaux_b_3184432.html?utm_hp_ref=france

Ajouter un commentaire

 
×