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Cachez ce chien que je ne saurais voir

Etre propriétaire d’un chien catégorisé et citadin, ce n’est déjà pas une sinécure pendant les 358 premiers jours de l’année : chaque matin, il faut décider laquelle des obligations légales «oublier» pour pouvoir respecter les autres : muselière-laisse OU entretien de la sociabilité/humains et congénères ? En effet, dans la vraie vie, qui n'englobe pas l’univers mental du législateur français, ces exigences sont radicalement incompatibles : l’attache, couplée à l’entrave de la gueule, reste le moyen le plus efficace pour rendre un chien agressif, comme l'ignore royalement le législateur susdit.

En tout état de cause, forts de la science et la sagesse qui manquent cruellement à d’autres, pendant les 358 premiers jours de l’année, nous sommes quelques centaines de milliers à déployer des trésors de patience, d’énergie, de détermination, de malice, d’humour et d’imagination, pour parvenir à composer avec une loi aberrante qui exige une chose et son contraire : un chien qui, sa vie durant, reste exemplairement sociable avec tout ce qui bouge, mais qui n’est autorisé à quitter la sphère privée que muselé et attaché. 

S'accommoder d'une loi inepte. Toute l'affaire est là. 

Ce challenge surréaliste, qu’il nous faut relever quotidiennement depuis 1999, nous l’affrontons avec courage et succès du 1er Janvier au 25 Décembre ; débute alors une série de sept longs jours qui nous laissent sans ressources, nous, pourtant capables de passer entre les gouttes quand il pleut des andouilles, nous, pourtant rompus à l’art de faire disparaître ensemble balle et molosse en moins de temps qu’il n’en faut à la maréchaussée pour apparaître au détour d’une allée.

Mais à quoi diable devons-nous ce soudain accès d’impuissance qui nous terrasse du 25 au 31 Décembre ? A un phénomène bien particulier, engendré par l’angle obtus de Noël, et qui va s’amplifiant jusqu’au dernier jour de l’année : le moindre mètre carré d’espace vert est investi par un objet roulant. Sur une, deux, trois ou quatre roues, voire cinq, la France de demain s’exerce à pédaler, pousser, tirer, rouler en s’efforçant de garder le cap !

L’enfant-roi occupe le terrain et trois générations veillent frileusement sur ses souveraines prérogatives, chacune prompte à voler dans les plumes de l'extravagant qui oserait grimacer en recevant une bicyclette dans les jambes ou une planche à roulettes dans les reins.

La bien-pensance officiant, on célèbre l'idole en herbe. Mais entre bêtes à deux pattes uniquement. Une seule exception : les quadrupèdes de manchon ou de sac à main, réduits à contempler le sol en caressant l'espoir de sentir enfin la terre sous leurs pattes.

Du côté des «gros» chiens, par contre, la voie de l'intégration aux lieux des réjouissances champêtres étant gravement embouteillée par les préjugés, on mord la poussière en respirant les miasmes de la pensée unique et en rêvant de dissidence.

Souvenons-nous qu'en temps ordinaire déjà, l’Hexagone n’est pas réputé pour badiner avec la «sécurité» des futurs héritiers de la dette publique.
Mais du 359ème au 365ème jour de l’année, l’intolérance envers le premier compagnon de l’homme atteint son point culminant : là où l’enfant-roi est susceptible d’aller poser une roue, c’est-à-dire partout, la présence de tout« gros chien » (plus de 7 ou 8 kilos) est farouchement proscrite, comme en témoigne le regard assassin des grands-mères sur le moindre Médor aventuré dans leur champ de vision, et l’air ambiant est à ce point chargé d’électricité qu’une photographie de rottweiler ou d’amstaff suffirait à déclencher une crise d’hystérie collective dans les rangs des ascendants fascinés par leur marmaille pédalante.

Ronger son frein et attendre patiemment que la France de demain, lasse de chuter, abandonne enfin la place.

Alors seulement, la nuit tombant et la chance aidant, les chiens pourront prendre à la dérobée leur part de défoulement et de jeu.

Toutefois, même à cette heure avancée, on n’est pas à l’abri d’une rencontre érudite, si bien qu'entre chien et loup, parfois se glisse un «aigle» revendeur de propagande, prêcheur de boniments médiatiques, mystique en mal d’odeur de souffre.

Par exemple, au soir de Noël dernier, j'ai croisé un docte traînard flanqué de sa progéniture, un gamin d’une huitaine d’années. Arrivé à ma hauteur, le jeune regarde ma chienne avec curiosité puis s'enquiert posément : « Papa, c’est quoi comme race, ce chien ? » L’autre de laisser tomber péremptoirement : « un rottweiler et c’est très méchant. »

Immédiatement, mes yeux s'emplirent de larmes car c’est toujours une grande émotion d’assister en direct à la transmission intergénérationnelle des connaissances.

Mais à peine le temps de sortir un mouchoir et déjà un groupe d’habitués suivi d’une dizaine de chiens surgissait de l’ombre en plaisantant :

- Alors ? Tu es encore tombée sur un Prix Nobel ?
- Non ! sur le tournage d’un clip pour la promotion de la connerie « made in France » !
- Eh oui, grosse production nationale ! Mais à quoi pensent nos énarques ? même pas encore eu l’idée d’exporter les excédents !
- Ah oui, pour combler le trou de la Sécu, une vraie panacée !!!

Puis de revenir au beauf et à sa pauvre sentence de café du commerce. Une énième occasion de renchérir gaiement sur l'urgence qui s’impose à nos gouvernants de créer un nouveau service à numéro vert pour l’enfance en danger : « SOS intoxication parentale ».

Pendant ce temps-là, nos chiens s’en donnaient à cœur joie : minuscules, petits, moyens et grands, racés, corniauds et bâtards, chiens 
« non dangereux » et chiens « dangereux », tous bienheureux car ignorants des lois que l’homme a dû inventer pour se protéger des effets de sa propre bêtise.
Mais bon, «tout ça c’était avant» : avant que je relise le « cahier spécial chiens dangereux » paru dans le numéro de novembre 2014 du magazine « chiens sans laisse ».

A SUIVRE …
L 20131013190235

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