Le chien est le seul être qui ne nous jugera jamais

Dans “Les maîtres expliqués à leurs chiens”, Christophe Blanchard, maître de conférences à l’université Paris 13 et maître-chien diplômé, analyse les relations que nous entretenons avec nos compagnons à quatre pattes, de la mémère à caniche au “punk à chien”.

“Qui promène son chien est au bout de la laisse”, chantait Gainsbourg. Le sociologue Christophe Blanchard a pris l’aphorisme à la lettre. Dans Les maîtres expliqués à leurs chiens (éd. La Découverte), il montre combien les chiens en disent long sur la société française, l’ère de la consommation de masse, la stigmatisation des périphéries urbaines et des quartiers populaires.  A travers cet “essai de sociologie canine”, l’auteur passe en revue toutes les fonctions qu’ont remplies nos compagnons à quatre pattes au cours de l’histoire, comme incarnations des identités nationales, instruments de communication des puissants, ou encore compagnons de “galères” des zonards, et brosse le portrait en négatif de notre société.

Pourquoi le chien est-t-il moins valorisé aujourd’hui pour sa dimension utilitaire que pour sa dimension affective ? Est-ce à lier à l’avènement d’une ère postmoderne caractérisée par l’individualisme, et donc la solitude?

Christophe Blanchard – Il faut nuancer cette désaffection utilitaire. La coévolution des canidés et des humains est justement liée aux intérêts réciproques qui unissent les deux espèces depuis des millénaires. A l’échelle de l’Histoire, le chien s’est en effet vu confier des missions d’éboueur, de gardien, de compagnon de chasse ou bien encore d’auxiliaire de guerre. Ils ont donc toujours été des auxiliaires précieux dont l’utilité ne s’est jamais démentie. Aujourd’hui encore, il suffit d’interroger les bergers ou les chasseurs pour s’en convaincre. Malgré tout, on constate depuis une trentaine d’années que la présence du chien de compagnie, sans fonction précise si ce n’est d’ “être là”, s’est considérablement accrue. L’”inutilité canine” est concomitante de l’urbanisation constante de nos agglomérations ainsi que de la plus grande distance sociale et symbolique qui s’instaurent entre les individus. Paradoxalement, plus ils s’éloignent de leurs voisins, plus les propriétaires contemporains éprouvent le besoin de se rapprocher de leur chien, le seul être d’une fidélité absolue qui ne les jugera jamais.

L’évolution du statut canin vers l’animal de compagnie a coïncidé avec l’entrée dans l’ère de la consommation de masse. Quelles ont été les conséquences de cette conjonction ?

En une petite cinquantaine d’années, le statut du chien s’est largement transformé en Occident et notamment en France où sa présence, avec plus de 7,5 millions d’individus, est massive. Notre relation avec lui s’est durablement transformée et il est désormais considéré comme un membre à part entière de la famille. Aujourd’hui, il est d’ailleurs bien plus courant de trouver un chien affalé sur le canapé du salon que dans une niche au fond du jardin. L’évolution des sensibilités est telle qu’on n’hésite plus à lui donner des prénoms humains ou à le nourrir et le vêtir comme un petit d’homme. On peut se moquer de cette tendance anthropomorphique en la jugeant passablement ridicule. Elle est toutefois symptomatique de notre époque ou la consommation est au cœur de nos sociétés. Rappelons que le secteur de l’animal de compagnie engrange chaque année plusieurs dizaines de millions d’euros de bénéfices. Les animaux de compagnie et les chiens en particulier sont les victimes collatérales de ce business florissant. En effet, on se les procure sur un coup de cœur et on s’en débarrasse à la première occasion venue, lorsqu’on se rend compte que la gestion quotidienne de “Médor” est finalement très contraignante. Les refuges canins qui débordent aujourd’hui de toute part, sont les exemples pathétiques du rapport irrationnel que nous entretenons avec nos compagnons à quatre pattes.

Yoga dog, istolethetv via Flickr

Y-a-t-il vraiment une tendance secrète qui nous pousse à adopter un chien parce qu’il nous ressemble ?

Aucune tendance secrète mais plutôt un processus mimétique au sens de René Girard. C’est- à-dire qu’on ne prend pas un chien parce que physiquement il nous ressemble, mais parce que sa possession nous permet de rentrer en concurrence avec d’autres propriétaires. En tant que produit de consommation, le chien dispose d’une valeur symbolique forte dont l’acquisition permet de se distinguer des autres maîtres. Posséder un lévrier, un caniche ou un pitbull n’a pas la même valeur symbolique dans la société qui est la notre. Le choix d’un chien, à l’instar de celui d’une voiture, en dit en réalité bien plus qu’on ne l’imagine sur notre positionnement socio-économique.

Pourquoi les présidents de la République s’affichent ils depuis plusieurs années avec leur chien ? Est-ce devenu un outil de communication politique ?

Les chefs d’Etat ont toujours été tentés d’instrumentaliser l’image du chien pour passer des messages politiques. En France, les monarques et l’aristocratie d’antan avaient d’ailleurs fait de sa possession un privilège à part entière, symbole de leur pouvoir et de leur noblesse. Ces dernières décennies, on a pu voir Valérie Giscard d’Estaing et François Mitterrand se mettre en scène avec leurs labradors respectifs dans un storytelling socio-canin savamment orchestré. Lors de sa première élection à la présidence, Barack Obama a également été tenté de faire de son chien “Bo” un vecteur de communication pour attendrir dans les chaumières américaines. Par contre, certains politiques se montrent bien moins doués avec la gent canine. Sumo, le bichon de Jacques Chirac par exemple s’est fait connaître pour son sale caractère et pour avoir mordu plusieurs personnes. Plus récemment, la presse a révélé que le chien de Nicolas Sarkozy avait dévoré des boiseries couteuses lors de son passage à l’Elysée.

Source: http://www.lesinrocks.com/2014/10/09/livres/christophe-blanchard-en-tant-produit-consommation-chien-dispose-dune-valeur-symbolique-forte-11528753/

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